Comment j’ai plongé dans la marmite du Tantra et pourquoi j’ai envie d’y rester
Interview réalisée par Emmanuel Moulin pour Meditationfrance – Juin 2023
(Retrouvez l’article sur: https://www.meditationfrance.com/journal/article01.htm )
Emmanuel Moulin: Peux-tu nous parler de toi avant ta rencontre avec le Tantra, la thérapie etc, tu as été je crois dans le domaine de la musique électronique contemporaine ?
Benoit Meudic: J’ai toujours été très attiré par la musique. En 1999, à l’occasion des portes ouvertes de l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique Musique) j’ai fait la rencontre d’un compositeur avec qui j’ai commencé à collaborer sur la réalisation de programmes informatiques d’analyse musicale automatique. Ça a été le début d’une longue période de travail et de recherche dans cet institut qui m’a fasciné dès le début par le projet utopique qu’il portait. J’y ai été d’abord chercheur puis j’ai assisté des compositeurs dans des projets de création musicale électronique. En parallèle je sentais que tout un pan de mon être n’était pas nourri par ces activités, et par chance et grâce à un ami j’ai découvert le Tantra qui m’a ouvert à une nouvelle dimension de l’existence.
EM: Tu proposes régulièrement des soirées Tantripdanse et des soirées Tantra sur Paris, tu peux nous dire l’intention de ces soirées ?
BM: Ces soirées sont une occasion pour les participant.es de découvrir l’esprit du Tantra avant de s’engager sur toute la durée d’un stage. Elles permettent aussi pour les habitué.e.s de se retrouver et pratiquer régulièrement. De mon côté elles m’invitent à imaginer et expérimenter de nouvelles propositions (je n’ai encore jamais proposé deux soirées identiques ;-).
Les soirées Tantripdanse sont centrées uniquement sur la danse avec une guidance inspirée du Tantra. Elles permettent de trouver une forme de liberté dans la simplicité de leur proposition et la continuité de la musique du début à la fin. Pour autant, beaucoup de processus émotionnels peuvent se réguler à travers le mouvement, et les interactions entre danseurs sont souvent riches d’explorations.
Les soirées Tantra sont souvent plus impliquantes et permettent d’aborder des thématiques plus variées comme notre rapport au vivant, l’espace du désir, ou l’observation du mental qui cherche à toujours tout contrôler. Les techniques sont aussi plus diversifiées car elles incluent toutes les modalités de ce qui fait une expérience : le toucher, la parole, le regard, le mouvement… On y trouve donc un avant goût de l’esprit du Tantra tout en restant dans une forme de légèreté, même si sont explorés quelques textes fondateurs comme le Vijnana Bhairava Tantra.
Ces deux types de soirées participent d’une forme d’hygiène de vie selon moi, et permettent comme un nettoyage du corps, des pieds à la tête, des émotions de surface aux énergies plus subtiles présentes en nous.
En plus de ces propositions je co-anime des stages sur une durée continue de plusieurs jours. Ce sont des moments privilégiés pour explorer les dimensions du vivant à l’échelle d’un groupe, dans l’authenticité et la sécurité offerte par un cadre bienveillant et clair. Ces moments restent pour moi la meilleure façon de se former au Tantra. Ce qui s’y vit se produit comme en accéléré par rapport au monde quotidien, notre vision s’élargit vers des horizons plus vastes, notre intimité avec l’existence devient plus palpable…
EM: Tu as été formé au tantra par l’enseignant Sudheer Roche dont j’ai entendu beaucoup de bien…il avait paraît-il une présence et une manière d’animer qui était assez unique, peux-tu nous partager une ou deux anecdotes qui t’ont marqué avec lui ?
BM: Lorsque j’ai entendu Sudheer pour la première fois, lors de mon premier stage avec lui, j’ai senti une grande émotion monter… Je me retrouvais face à une évidence difficile à décrire mais en même temps très palpable. C’était comme un relâchement qui m’autorisait enfin à me sentir réellement à la maison, en moi dans mon corps. Je me suis imaginé alors que j’avais tout compris du Tantra : la lumière était là, tout était simple finalement ! Je trouvais cela extraordinaire. Je l’ai dit à Sudheer, qui n’a pas montré le même enthousiasme que moi. Il m’a répondu simplement et sans complaisance … »à suivre »… Sur le moment j’ai été un peu vexé. Mais le simple fait que je me trouvais atteint par ce que je lui prêtais comme étant de l’indifférence montrait que je n’étais pas si avancé que ça ;-)… et effectivement j’avais encore beaucoup de routes à défricher. Des années après je suis toujours en chemin…
EM: Le meilleur moment de ta journée pour te ressourcer ou méditer ?
BM: J’aime beaucoup le matin avant le lever lorsque je suis encore un peu endormi, ou pendant une sieste après le déjeuner. Ces moments peuvent être très agréables pour moi, dans une sorte d’entre-deux qui laisse le mental comme s’évaporer pour donner toute sa place à une vision élargie. Une sorte de plan de conscience apaisé dans lequel beaucoup de questions trouvent leurs réponses et aussi beaucoup de scénarios se déroulent comme une évidence. J’ai préparé nombre de mes soirées ou stages de cette manière. Cette forme de présence entre l’éveil et le sommeil est aussi une des méditations du Vijnana Bhairava Tantra (la numéro 50). Paul Reps a rapporté que c’était l’une des favorites du moine Lakshmanjroo.
EM: Qu’emporterais-tu si tu allais faire une retraite spirituelle dans l’himalaya ?
BM: J’emporterai le livre « zen flesh zen bones » de Paul Reps, pour parcourir encore et encore les dix-huit dernières pages qui contiennent les traductions en français du Vijnana bhairava Tantra. Ces enseignements contiennent en potentiel des vies entières d’explorations.
EM: Tu animes des stages de Tantra en France….notamment en Bretagne dans le Finistère Sud mais aussi en Chartreuse (38) entre Grenoble et Chambéry, souhaites-tu déménager en province un jour ou est-ce que tu aimes bien cet équilibre Paris-Province ?
BM: J’habite Paris depuis plus de 20 ans, mais au fond de moi je suis Breton, et j’aime voyager. J’aime aussi l’idée qu’un jour j’irai m’installer en province en trouvant un espace de nature où me ressourcer. Et pourquoi pas créer un lieu dans lequel je proposerai d’accueillir d’autres intervenants pour des activités liées au Tantra et à l’exploration du vivant.
EM: Tu co-animes les stages de Tantra avec la thérapeute et facilitatrice Sophie Boivin, peux-tu nous dire quelques mots sur elle ?
BM: Sophie a l’humilité d’une apprentie-shaman toujours en chemin et en même temps possède tellement de compétences que je ne pourrai pas toutes les citer. Partager mon animation avec elle apporte beaucoup d’équilibre à nos propositions et les enrichit notamment avec des pratiques énergétiques, corporelles et de co-création collective. Cela nous permet aussi d’explorer des sentiers non forcément déjà balisés par le Tantra à travers des invitations nouvelles et inspirées qui nous permettent de développer une approche contemporaine en sus des textes anciens sur lesquels reposent souvent nos propositions. Cela rejoint une dimension vivante du Tantra qui à mon sens ne se limite pas à des seules traditions écrites.
EM: C’est quoi une journée parfaite pour toi ?
BM: Pour moi chaque jour est potentiellement parfait car il est rempli de lumière quoiqu’il arrive. Mais une journée se trouve peut-être un peu plus parfaite si elle m’amène à me surprendre moi-même, à me faire un pied de nez sur l’idée que je m’en faisais à l’avance et/ou si elle me remplie du plaisir d’aimer, encore plus lorsque c’est partagé avec un.e proche ou avec une rose croisée au hasard d’un chemin.
EM: Si tu devais changer une chose chez toi, une seule, quelle serait cette chose ?
BM: Si j’avais conscience de quelque chose à changer il y a longtemps que je l’aurais déjà fait. Et le Tantra nous invite justement à nous accueillir tels que nous sommes, sans rien rejeter de ce qui est vivant en nous. Mais imaginons que je découvre cette chose, ce serait sans doute me donner la croyance qu’un avenir radieux attend les humains. Pour l’instant je l’espère, mais je n’y crois pas trop…
EM: Quelle musique aimes-tu ou quel groupe te fait vibrer ?
BM: Avant de faire du Tantra, si je pensais connaître quelque chose de moi, c’était bien ma capacité à savoir apprécier la musique. Je travaillais à l’Ircam, j’étais sensé être un spécialiste en musique, j’y ai même soutenu un doctorat en informatique musicale. Mais le Tantra a complément bouleversé mes repères. Je me suis retrouvé à aimer et à danser sur tous les styles de musique, du classique au dark métal jusqu’au presque silence. Mon écoute musicale a complètement changé, j’ai cessé de juger les sons pour me laisser vibrer avec eux. C’est un peu comme pour la parole, lorsque qu’on cesse d’écouter les mots pour se mettre à l’écoute de leur énergie.
En musique, si je devais choisir un style aujourd’hui précisément, ce serait des compositions mixant de l’électro instrumentale avec de la musique classique. Par exemple de l’artiste N’to. J’aime l’association entre des mélodies classiques presque enfantines et des rythmes électro subtils et variés. J’ai un côté romantique aussi auquel j’ai cessé de m’identifier mais que j’aime rappeler à mon souvenir lorsque j’entends d’anciennes chansons pop parlant d’amour.
EM: Qu’est-ce qui t’anime profondément dans ces activités que tu proposes mais aussi dans ce chemin de vie ?
BM: Tout au long de mon parcours de vie j’ai essayé de progresser au plus proche de ce qui faisait sens pour moi. J’ai fini par réaliser que les sentiments et les sensations que j’avais au fond de moi étaient plus fort et plus réels que les injonctions que je recevais de l’extérieur. Et après quelques hésitations sur une possible expression par la musique, j’ai choisi de me centrer sur la transmission de ce que j’avais reçu dans les enseignements de Sudheer. Ils m’ont replacé au cœur de l’humain, ont changé ma vision du monde, et je ne vois rien de plus naturel que de vouloir les partager aujourd’hui… Je pense que le monde en a besoin, et j’en ai besoin aussi…
Benoit Meudic – Juin 2023